Le Ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire a déclaré le 28 février 2020 que « l’Etat considère le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises. »
L’ordonnance n° 2020-326 du 25 mars 2020 permet quant à elle « du fait de la situation actuelle constituant la force majeure » de ne pas mettre en jeu la responsabilité pécuniaire des comptables publics.
Dans ces conditions, le débiteur d’une obligation de payer ou de faire peut-il invoquer le Covid-19 pour justifier une inexécution contractuelle et solliciter la résolution d’un contrat ou à tout le moins la suspension de l’exécution dudit contrat ?
I/ Définition de la force majeure en matière contractuelle
Aux termes de l’article 1218 du code civil :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »
Le caractère de force majeure reste soumis à l’appréciation souveraine des Tribunaux.
Il convient en revanche de préciser que les dispositions précitées de l’article 1218 du code civil ne sont pas impératives, de sorte que les parties peuvent librement aménager dans leur contrat les conditions de la force majeure ainsi que ses effets.
II/ Etude jurisprudentielle dans le cadre d’autres épidémies/virus
Les décisions rendues dans le cadre d’autres épidémies ont toutes rejetées le cas de force majeure que ce soit pour le Chikungunya sur l’île de la Réunion ou sur l’île de Saint-Barthélemy (CA Basse-Terre, 1ère Ch., 29 mars 2016, n° 15/12113 ; CA Basse-Terre, 17 déc. 2018, n° 17/00739), l’épidémie de Dingue en Martinique (CA Nancy, 22 novembre 2010, n° 09/00003), l’épidémie de grippe H1N1 (CA Besançon, 8 janvier 2014, n° 12/0229) ou encore l’épidémie de grippe aviaire (CA Toulouse, 3 octobre 2019, n° 19/01579).
Les juges ont considéré dans ces cas que les maladies ne pouvaient être invoquées pour refuser d’exécuter un contrat et ce, aux motifs que soit que les maladies, leurs risques de diffusion et leurs effets sur la santé étaient connus, soit qu’elles n’étaient pas assez mortelles.
III/ Analogie avec le Covid19 ? A priori NON…
Suffit-il de transposer et d’appliquer la jurisprudence rendue dans le cadre des épidémies précitées, à celle du Covid-19 pour considérer que ce dernier n’est pas un cas de force majeure ? assurément non.
Il est précisé que sous l’empire de l’ancien article 1148 du code civil, le juge devait caractériser la force majeure par la réunion de trois éléments : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité.
Les nouvelles dispositions de l’article 1218 du code civil semblent être plus souples.
Quoi qu’il en soit, l’ampleur et la gravité du Covid-19 dépassent sans nul doute les épidémies précitées.
Par ailleurs et alors que pour exemple pour la Dengue, la Cour d’appel avait relevé qu’elle n’était pas imprévisible car elle se produisait régulièrement ni imprévisible dans son apparition ni irrésistible dans ses effets, ou encore la grippe H1N1 qui avait été annoncée et prévue, le caractère imprévisible du Covid-19 parait quant à lui non contestable.
En l’absence de traitement préventif d’une part et curatif d’autre part, le Covid-19 semble également présenter le caractère d’un évènement irrésistible.
Les décisions rendues à ce jour concernant le Covid-19 et qui vont dans le sens de la caractérisation de la force majeure sont toutefois à relativiser car concernant le contentieux du droit des étrangers et non, le droit des contrats.
Plusieurs décisions ont ainsi été rendues par la Cour d’appel de Douai qui a considéré :
- que les circonstances de l’annulation du vol par les autorités italiennes, à destination de Naples, caractérisent la force majeure et ne sont pas imputables à un défaut de diligences des services de la préfecture (CA Douai du 4 mars 2020, n° 20/00395) ;
- que « la fermeture du consulat de Guinée est un cas de force majeure qui n’est pas imputable aux services de la préfecture » (CA Douai du 5 mai 2020, n° 20/00660) ;
- « vu la situation de force majeure résultant de la survenance brutale d’une épidémie mortelle empêchant tout déplacement sans risque de la personne retenue et justifiant le recours à la visioconférence ayant permis sans difficulté de communiquer avec X » (CA Douai du 26 avril 2020, n° 20/00639, n° 20/00640, n° 20/00641) ;
- « l’annulation du vol du 20 mars 2020 résulte d’un cas de force majeure consécutive à la situation sanitaire liée au COVID 19 » (CA Douai du 23 avril 2020, n° 20/00632).
Si la partie au contrat a contracté le coronavirus et est tombé malade, l’on peut penser qu’elle pourrait alors invoquer le cas de force majeure.
A défaut d’avoir été directement et personnellement touché par l’épidémie, le débiteur d’une obligation devra, avant d’invoquer le cas de force majeure pour suspendre ou résoudre le contrat, étudier la chronologie de l’engagement contractuel et des différents textes, notamment arrêtés ministériels pris.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré, le 30 janvier 2020, que l’émergence d’un nouveau coronavirus (Covid-19) constitue une urgence de santé publique de portée internationale.
Le 4 mars 2020, le ministre des solidarités et de la santé a pris un arrêté portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 interdisant notamment tout rassemblement de plus de 5 000 personnes.
Le 11 mars 2020, profondément préoccupée à la fois par les niveaux alarmants de propagation et de sévérité de la maladie, l’OMS a estimé que la COVID-19 peut être qualifié de pandémie.
Puis d’autres arrêtés ont réduit peu à peu le nombre de personnes pouvant se réunir et enfin tous les rassemblements en France ont été annulés et le confinement a été érigé.
La date à laquelle le contrat en cause a été souscrit permettra d’apprécier l’imprévisibilité de l’épidémie. L’imprévisibilité ne serait ainsi plus caractérisée à compter du 11 mars 2020.
La date du 11 mars pourrait être également retenue comme point de référence quant à l’exécution de l’obligation, date à partir de laquelle il pourrait être invoquée la force majeure comme motif régulier rendant impossible l’exécution d’un contrat.
Les évènements qui devaient avoir lieu avant les mesures de restriction et en tout état de cause avant le 11 mars 2020 et qui ont été annulés par précaution ne pourraient pas se prévaloir de la force majeure car ils n’étaient pas légalement contraints d’annuler l’évènement.
Bien entendu il faudra, pour celui qui invoque la force majeure, démontrer le lien entre l’évènement qu’est l’épidémie de Covid-19 d’une part et, l’impossibilité de payer ou d’exécuter en nature d’autre part.
IV/ Effets de la force majeure
Il est précisé que le cas de force majeure :
- permet d’activer la clause dite « de force majeure » du contrat, si elle existe, qui peut prévoir le non remboursement d’une partie ou de la totalité du prix stipulé au contrat,
- permet de s’exonérer de sa responsabilité contractuelle, par exemple en cas de préjudice invoqué par le client du fait du défaut d’exécution de la prestation (frais de transport ou d’hébergement déjà engagés par exemple).
Conformément à l’article 1218 précité du code civil, la force majeure suspend l’exécution du contrat.
Dans l’hypothèse où le report de l’obligation ou de l’évènement est possible, l’exécution du contrat est suspendue jusqu’à la fin de la période d’interdiction et reportée à la date fixée.
La procédure suivante peut être adoptée :
- une nouvelle date est fixée dans un délai raisonnable,
- une notification du report est adressée au cocontractant,
- le contrat est suspendu jusqu’à la date prévue et les versements conservés.
C’est seulement lorsque l’empêchement est définitif que le contrat est résolu de plein droit, c’est-à-dire annulé avec effet rétroactif.
La mise en œuvre du stade 3 de lutte contre l’épidémie peut s’apparenter à un empêchement absolu.
Il est précisé qu’en l’absence de clause contractuelle particulière, les acomptes doivent être remboursés lorsque la prestation n’est pas exécutée. Ce, même en cas de force majeure.
Les seuls cas où les acomptes n’ont pas à être remboursés sont les suivants :
- la prestation a été partiellement exécutée à hauteur, au moins, du montant de l’acompte,
- les conditions générales de vente du prestataire prévoient qu’en cas de force majeure, l’acompte lui sera acquis.
Conclusion et points à retenir :
- Il appartient au juge de déterminer si les conditions de la force majeure sont réunies et donc si l’inexécution contractuelle est ou non justifiée,
- Le covid-19 semble pouvoir constituer un cas de force majeure en matière contractuelle et ce, à compter de la première quinzaine du mois de mars 2020, mais cela dépendra de chaque cas d’espèce et de la chronologie ci-dessus évoquée,
- Le contrat peut écarter la force majeure comme cause d’inexécution,
- La prudence impose une analyse sérieuse de la situation avant d’invoquer le cas de force majeure pour se délier de son obligation contractuelle,
- Une négociation amiable peut être une solution adaptée aux deux parties : report, remboursement partiel, avoir, etc.